Aux Îles Gilbert[1], le côté « carte postale » de la fête de Noël s’évanouit, balayé par le souffle de l’alizé[2] ; dépouillé d’un folklore parfois superflu, le mystère de la Nativité gagne en profondeur, serre de plus près les réalités du Salut. Nos Gilbertins vivent leur Noël intensément ; ils en font une manifestation publique de foi ; on « va à Noël » dans nos îles, comme on va en pèlerinage, se retremper dans la prière et la charité, tous ensemble réunis pour une longue semaine à la station principale de la Mission.
Cet aspect communautaire de la fête n’est pas le moins frappant. A Abemama, le Père chargé de l’école Manokou est aussi curé de l’île. Le dimanche, il dessert l’un ou l’autre des huit villages répartis sur un croissant de terre de 34 kilomètres… Mais à Noël, les rôles sont inversés : les catholiques se déplacent et viennent à lui.
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Comme l’hirondelle en avance sur le printemps, un premier groupe s’est installé le 21 décembre dans la « manéapa », l’institution gilbertine par excellence, la maison « commune », le lieu obligé de toute réunion. Celle de Manokou est imposante : 900 m2 de surface habitable sous un toit formé de dix mille feuilles de pandanus… Le lendemain et les jours suivants, nos pèlerins affluent. Ils arrivent du Nord et du Sud, à pied, à vélo, en pirogue, ou sur le camion de l’île loué pour la circonstance. Dans un bric à brac invraisemblable de nattes, paniers à provisions, ustensiles de cuisine, chaque village occupe la place qui lui est réservée. Il n’y a pas d’ânes et de chameaux alentour mais l’ambiance doit être celle d’un caravansérail juif au temps de Notre Seigneur !… On pense à ces hommes, à ces femmes se rendant à Bethléem pour le recensement.
La « manéapa » c’est l’hôtellerie où l’on fait halte pour la nuit, l’auberge pleine les jours de fête et de rassemblement. Il y a deux mille ans, un couple de pauvres, Joseph et Marie, n’y trouvèrent pas de place… D’autres auraient joué des coudes, se seraient imposés ; eux étaient effacés, un peu timides sans doute, et Jésus allait naître… Ils allèrent plus loin… Et Noël sera d’abord pour les autres.
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A Manokou, le Christ va venir, mais on le retiendra avant tout, on lui prépare une place dans son cœur. La veillée de Noël est calme, recueillie. Après une ondée bienfaisante, qui a mis fin à plus de trois mois de sécheresse, le ciel retrouve sa limpidité. Nuit sereine… A peine, une brise légère et tiède berce la palme des cocotiers. La mer est étale.
Et voilà les lumières qui s’allument ; la cloche tinte : minuit approche. Nos gens revêtent leurs habits de fête. Sans trop de bousculade, les hommes du service d’ordre rassemblent quelques sept cents personnes autour de l’autel dressé au centre de la « manéapa »… Quel honneur ! C’est dans leur propre maison que Jésus va venir, qu’ils vont le recevoir. Le Père Michenaud fait suivre la messe ; la foule prie, et chante en gilbertin des Noëls aux airs bien connus. Les notes se perdent un peu dans l’immense « manéapa », mais le cœur y est, quand éclate le chant final : « Les extrémités de la terre ont vu le Sauveur envoyé par notre Dieu. »
Avec la même ferveur, on assiste à la Grand-Messe du Jour et à la Bénédiction du Saint-Sacrement. Toute la semaine, la présence aux offices est nombreuse… Les réjouissances populaires prolongent la fête dans une atmosphère de saine gaieté : danses et chants mimés, tournois sportifs, séances de projections… Et puis, on en profite pour rendre visite au Père, demander un conseil, solliciter un service : de jeunes fiancés désirent fixer la date de leur mariage ; un village manque de ciment pour terminer son église ; les anciens discutent écoles, instituteurs, terrains etc… le missionnaire écoute, encourage, tranche. C’est tout cela Noël : une rencontre fructueuse avec l’Enfant de la crèche, une franche réponse aux exigences de la Foi.
D’après le Père BERMOND,
Missionnaire du Sacré-Cœur.
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- [1] Les Îles Gilbert sont un archipel de l’Océanie, sous l’équateur.↩
- [2] Un vent des régions chaudes du globe. ↩
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