Conclusion
Cavalcades, fanfares, guirlandes, chants, que tout cela a donc été joyeux !… Mais comment dire la fête des âmes ?
Ces joies-là ne s’expriment pas.
Qui donc était le plus heureux, de l’Évêque, qui consacrait à Dieu trois nouveaux Prêtres ; du bon et saint Curé, qui accompagnait à l’autel l’enfant de ses prédilections ; d’Yvon, qui réalisait son rêve sacerdotal ; de tante Jeanne, qui communiait des mains de son fils ; de petit Pierre, qui accueillait Notre-Seigneur dans son âme d’enfant ;… de papa, de maman, de Marianick, de tous les autres enfin ?
Seulement, dans l’après-midi qui suit sa première Messe, Yvon n’arrive pas à sortir de son recueillement, alors que petit Pierre va, vient, saute au cou de sa mère, embrasse son père, incapable de taire sa joie exubérante, communicative, radieuse.
Seul, dans cette atmosphère de complet bonheur, Nono reste fermé, presque triste. Tôt dans l’après-midi, il disparaît, et Yvon en éprouve un souci.
Cependant, cette journée qu’on voudrait retenir va passer comme les autres… Le soir vient.
Dans la paix délicieuse de ces premières soirées d’automne, Yvon s’échappe tout seul. Avant de se coucher, il veut retourner à l’église, remercier encore pour aujourd’hui, se préparer pour demain, car désormais, de Messe en Messe, sa vie sera comme une fête perpétuelle.
Le long des haies, où les bruyères commencent à courir toutes roses, il marche, l’âme perdue dans une gratitude sans nom. Toute sa vie passe devant lui…, longue suite de grâces de Dieu. Mais, désormais, il pourra remercier en « offrant Jésus ».
Voici l’église. Petite église bénie de son baptême…et des fêtes d’hier et de celle d’aujourd’hui. Il entre. Il fait sombre,… mais quelle paix ! L’autel est là et le tabernacle. Ici ou ailleurs, il sait que désormais il les retrouvera tous les jours.
Oh ! se mettre à genoux… se taire… adorer… rendre grâce.
Mais qu’est-ce que ce bruit léger ? Yvon écoute… On dirait quelqu’un qui pleure discrètement… mais où ? A la lueur de la lampe du sanctuaire, Yvon cherche à voir. Pas de doute, il y a une petite ombre là-bas devant l’autel de la Sainte Vierge.
Sans bruit, Yvon s’approche. Un enfant est là. La tête appuyée sur la balustrade, il pleure doucement, comme envahi d’une tristesse infinie. Un rayon de la petite lampe dore un peu sa chevelure brune, et c’est un tableau exquis que celui de ce petit, réfugié au pied de la Madone, dont la blancheur se devine dans la pénombre, au-dessus de lui.
Yvon, sans le reconnaître, est sûr que c’est Nono. Il murmure :
— Nono ! mon cher petit. Qu’est-ce que ce grand chagrin ?
— Oh ! m’sieu l’abbé… m’sieu l’abbé…
Et l’enfant, soulagé par cette présence amie, se jette tout bonnement dans les bras qui se tendent.
Quand il a pleuré là, tout son content, car Yvon n’interroge plus, il dit :
— J’ai trop de peine !
— Mais pourquoi ?
— Parce que je suis qu’un pauvre forain… qui sait rien. Papa et maman n’ont pas d’argent. Je pourrai jamais apprendre, et pourtant… j’oserai jamais vous dire… je sais bien que c’est fou…
— Mais c’est moi qui vais le dire, ce gros secret qui te pèse si lourd. Tu voudrais devenir Prêtre, Nono, et tu croix que c’est impossible. Or rien, mon petit, n’est impossible à Dieu.
L’enfant lève vers Yvon un visage extasié ; ses yeux disent : Ne me trompez pas, surtout.
— Mais crois-moi donc ! Écoute un peu. Si le Bon Dieu t’appelle, ce que nous saurons plus tard, il ne peut pas te refuser les moyens de répondre à ses volontés sur toi. Et sa Mère, dont l’image est là, et que tu es venu prier, serait-il possible qu’elle t’abandonnât ?
Et ma mère à moi, et moi-même, est-ce que nous ne ferons rien pour toi ?
Allons, viens avec moi, là, devant le tabernacle et dis au Bon Dieu : Je serai Prêtre, si vous le voulez, Jésus. Je m’abandonne à Vous.
Ce que fut cette prière, on le devine.
En sortant, Nono, cramponné à la main de son grand ami, avait retrouvé une volubilité inconnue. Tous les rêves amassés en ces derniers mois s’exprimaient presque à la fois, et l’enfant redisait indéfiniment :
— Alors, voyez-vous, si le Bon Dieu m’appelle, comme vous dites, je serai le « curé » des forains. J’irai faire le catéchisme dans les roulottes. J’y porterai le Bon Dieu. Peut-être que j’aurai une roulotte-chapelle, avec un moteur pour courir plus vite d’une foire à l’autre. Ça marcherait à toute vitesse ! et puis… oh ! m’sieu l’abbé, j’avais pas pensé à ça ! Et le rire succède aux larmes. J’aurai des enfants de chœur !… Vous voyez ça !… Je leur ferai tout comprendre, et gare au Suspiciatet à la Liturgie !
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